Arts

Comment l’art a véhiculé les stéréotypes du monde arabe

via Yabiladi

Longtemps au service de la propagande coloniale, l’art fut aussi un moyen, en Occident, de conforter des stéréotypes bien établis. Une exposition au British Museum, à Londres, révèle la manière dont l’impact du mouvement orientaliste sur le monde arabe se fait encore sentir aujourd’hui, rapporte la BBC.

Ce courant artistique, «qui atteignit son apogée au XIXe siècle lors du démembrement de l’empire ottoman et de la montée des ambitions coloniales françaises et britanniques dans le monde arabe», rappelle la chaîne d’information britannique, a introduit dans le sud du bassin méditerranéen un imaginaire culturel «comme jamais auparavant».

Si les œuvres d’Eugène Delacroix, Léon Cogniet, Jean-Léon Gérôme ou encore John Frederick Lewis figurent abondamment dans les musées et galeries du monde entier, l’exposition du British Museum rappelle qu’il s’agissait de «documents visuels peu objectifs qui visaient à représenter avec précision le monde arabe au sens large», balayant ainsi d’un revers de main les spécificités culturelles et sociales propres à chacun des pays qui forment ce que l’on appelle communément «le monde arabe».

«Femmes d'Alger dans leur appartement», Eugène Delacroix, 1833.«Femmes d’Alger dans leur appartement», Eugène Delacroix, 1833.

Une image de l’islam encore conservée aujourd’hui

«Une grande partie de ce que nous appelons l’orientalisme présente des images stéréotypées et, bien entendu, celles-ci doivent être examinées de manière critique. Ce genre de conscience de soi historique devrait nous permettre de bien réfléchir aux images de l’islam conservées aujourd’hui», souligne auprès de la BBC Elisabeth Fraser, professeure d’histoire de l’art à l’université de Floride du Sud. Pour l’universitaire américano-palestinien Edward Saïd (1935-2003), l’art orientaliste s’inscrivait dans une tradition culturelle de stéréotypes du monde arabe, qu’il voyait se prolonger encore aujourd’hui.

Dans ce sens, l’exposition du British Museum analyse la manière dont les objets de l’art islamique sont restitués dans ces peintures et explore par exemple la manière dont Rudolf Ernst, peintre autrichien du XIXe siècle, s’est inspiré de ses voyages dans le sud de l’Espagne, en Turquie et en Afrique du Nord, où il prenait des photos, réalisait des croquis et utilisait des accessoires dans son propre studio pour reconstituer des scènes. «Il n’était pas rare dans l’art orientaliste que des accessoires de différents pays et époques du monde arabe ou islamique soient utilisés côte à côte de façon anachronique», souligne la BBC.

«Déni de l’intellect»

«Ces clichés sur le monde arabe sont aussi savamment entretenus par les pouvoirs de l’Etat», commente auprès de Yabiladi le publicitaire franco-algérien Ali Guessoum, fondateur de l’association Remembeur. «Pendant l’entre-deux-guerres, on a vu apparaître l’image du Noir rieur, jovial, de surcroît entretenu par la publicité avec les  »Y’a bon Banania » puis, en Algérie, l’armée française a diffusé des cartes postales montrant des filles dans des positions lascives. En gros, le message c’était de dire :  »venez en Algérie, ce bordel à ciel ouvert où il fait bon vivre »», rappelle Ali Guessoum, occultant «les exactions, la spoliation des terres et le déni d’identité». «Cette vision fantasmée de la femme orientale se retrouve aujourd’hui dans le prolongement de la beurette», déplore-t-il.

Plus terrible encore selon le publicitaire : «le déni de l’intellect». Mathématiques, médecine, astronomie, géographie, agriculture… Nombreux sont les domaines profondément marqués par les sciences arabes. Un prisme oublié des orientalistes, juge Ali Guessoum. «L’homme n’est représenté que comme un ennemi potentiel, un sauvage agressif et violent. Au contraire, on a privilégié le prisme fantasmé de la femme orientale. Il n’y a pas d’intellectuels, de savants, de poètes, d’astronomes… C’est un déni de l’intellect», estime-t-il. Il voit là un «complexe de supériorité» des Occidentaux «nourri par les Lumières et l’Europe qui ont oublié qu’il y a eu avant eux des civilisations brillantes».

Dans la même veine que ce que nous expliquait récemment le chercheur Jean-François sur la manière dont l’art s’est imposé, au temps de la colonisation, comme un puissant outil de propagande, Ali Guessoum souligne que nombre d’artistes, d’intellectuels et d’écrivains «ont prolongé un imaginaire biaisé et bourré de stéréotypes».

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