Football

Comment le Maroc séduit les talents binationaux

via Telquel

Article initialement publié le 25 février 2020

Le débat binationaux ou joueurs locaux tient toujours au Maroc, pays où le football est maître des esprits, et où des centaines de milliers de citoyens ont décidé de vivre de l’autre côté de la Méditerranée. De la première génération de joueurs binationaux qui ont choisi d’évoluer pour leur pays d’origine à la dernière, le débat accompagne leur choix.

Sont-ils “assez marocains” »? Ont-ils fait ce choix par défaut ou par ultime conviction ?” Ces questions ont accompagné des parcours comme ceux des frères Hadji, de Marouane Chamakh ou encore de Medhi Benatia. Et accompagneront la génération d’Amine Harit, d’Achraf Hakimi et de Hakim Ziyech. Sauf si les résultats suivent. Car, hormis les heures de crises, tout le monde oubliera que ces jeunes issus de l’immigration détiennent une double nationalité.

Pour ces binationaux, le choix d’une nationalité sportive n’est pas chose aisée. C’est un long processus qui nécessite patience, prise de risques et accompagnement. C’est pour cette raison que la direction technique nationale a entamé le recrutement de ses scouts en Europe, il y a une dizaine d’années. Des personnes chargées d’être aux côtés des joueurs et de leurs familles, dès leur jeune âge, pour éviter un scénario semblable à celui d’Ibrahim Afellay, qui avait choisi de représenter les Pays-Bas. Un choix de carrière certes, bien motivé néanmoins par le manque de suivi de la part des Marocains, à en croire l’ancien joueur du FC Barcelone.

Pour l’amour du maillot

Juste pour qu’on se comprenne bien, vous savez ce qu’on dit à tous les footballeurs marocains nés ailleurs pour les convaincre de jouer pour le Maroc ? On leur parle de l’amour du drapeau et de celui de 35 millions de personnes”, nous déclarait le président de la FRMF, Fouzi Lekjaa, lors d’une interview en décembre dernier, pour mettre un terme aux persistantes rumeurs qui affirment que le royaume offre des biens immobiliers ou autres salaires et compensations en échange de la tunique des Lions de l’Atlas. Des rumeurs qu’il qualifie d’“absurdes” et relayées par les pays formateurs qui, généralement, n’acceptent pas de voir leurs purs produits choisir leur pays d’origine.

Ainsi, et pour assurer un suivi de ces binationaux qui restent toujours attachés aux pays d’origine de leurs parents, parfois même sans le visiter, la FRMF a procédé au recrutement de scouts à travers l’Europe pour que les plus jeunes sachent d’emblée que la direction technique du Maroc les suit de près, et leur offre une alternative au moment de choisir définitivement leur nationalité sportive.

“Les gens parlent de simple choix ‘du cœur’ pour les binationaux. C’est loin d’être aussi simple”

Ahmed Chouari, scout de la FRMF

Parmi les choix de nationalité sportive qui ont le plus fait jaser ces dernières années, le cas de Amine Harit, l’international marocain évoluant aujourd’hui en Bundesliga, en Allemagne, du côté de FC Schalke 04. Vedette de la génération 1997-1999 de l’équipe de France championne d’Europe espoir en 2016, aux côtés d’un certain Kylian Mbappé, il surprend le football français en optant pour le Maroc. Mais avant d’être contacté par Hervé Renard, le natif de Pontoise a été longuement suivi par la FRMF. A travers un homme :  Ahmed Chouari, scout de la fédération en France et en Italie depuis une dizaine d’années.

Formateur au sein du Toulouse FC, c’est lors d’un stage au Maroc qu’il avait été contacté par la FRMF, se souvient-il. “On m’a contacté pour signer mon contrat de scout, c’était un honneur pour moi de servir mon pays, surtout qu’il s’agit de mon domaine de prédilection”, nous confie Chouari, qui a été le premier scout sous contrat avec la FRMF à sillonner la France, en quête de nouveaux talents.

Convaincu que le choix n’est pas simple pour les jeunes joueurs, Ahmed Chouari tente de ne pas brusquer ni presser les intéressés et leurs familles. “Les gens parlent de simple choix ‘du cœur’ pour les binationaux. C’est loin d’être aussi simple. Le petit est souvent né en France, il grandit en France et y apprend les bases du football. Ses amis sont français, ses instituteurs et ses formateurs aussi. Quand il jette un coup d’œil sur son passeport, il se sent tout aussi Français que Marocain. Et c’est à un jeune de 16 ans de faire ce choix décisif pour sa carrière. Vous pensez que c’est facile ? s’interroge, non sans ironie, le scout de la FRMF.

Harit, un cas d’école

Le rôle d’un scout est probablement défini dans le cas d’Amine Harit. Coqueluche du football français aux côtés des joueurs composant la génération championne d’Europe espoir en 2016, il a choisi le Maroc en septembre 2017, au lendemain de son transfert vers Schalke 04 pour 15 millions d’euros en provenance du FC Nantes.

Sa décision de porter le maillot du pays d’origine de ses parents a pourtant été prise bien avant. Ahmed Chouari se souvient d’un “garçon toujours attaché au Maroc”, grâce notamment à ses parents et ses aller-retour au pays durant les vacances. Pourtant, le jouer se fait recaler par Pim Verbeek, lorsque ce dernier était directeur sportif chez les jeunes au sein de la DTN.

“Je pense que c’est le choix le plus difficile que j’ai eu à faire depuis le début de ma carrière, et aujourd’hui j’en suis très fier”

Amine Harit, joueur international

J’ai dû rattraper quelques coups en prenant mes fonctions de scout en France, se souvient Ahmed Chouari. Parmi les joueurs qu’on a failli manquer, je pense à Amine Harit et Youssef Aït Bennasser, deux joueurs qui ont été recalés par Pim Verbeek, et qui ne songeaient probablement plus au Maroc. À tort, puisque c’est bien la FRMF qui leur a ouvert les portes de la première équipe”.

Pour Harit, nous avions pu passer un deal. Le joueur évoluerait dans les sélections de jeunes de l’équipe de France, et dès qu’il se sentirait prêt, il serait convoqué en équipe A des Lions de l’Atlas”, précise notre interlocuteur. Pour annoncer définitivement son choix, Harit a attendu son transfert en Allemagne, et ce n’est pas non plus une coïncidence. “Ce n’est pas un choix qui date d’une semaine ou deux, c’est vraiment un choix mûrement réfléchi depuis un an, voire un an et demi maintenant”, avait-il déclaré. “Je pense que c’est le choix le plus difficile que j’ai eu à faire depuis le début de ma carrière, et aujourd’hui j’en suis très fier”. 

En France, le jeune subissait beaucoup de pression, notamment au niveau de son club. “Parfois, un binational en France connaît beaucoup de pression, surtout quand les médias de son pays d’origine commencent à parler de lui et évoquer sa possibilité de représenter une nation autre que la France. Ce qui est normal, sachant que le pays lui a tout appris”, explique Chouari, qui a été derrière le repérage d’un jeune prometteur à Lens, Mounir Chouiar (21 ans) en l’occurrence, qui éclabousse aujourd’hui la Ligue 1 de son talent, du côté de Dijon, et qui pourrait faire partie de la prochaine liste de Vahid Halilhodzic pour affronter la République centrafricaine au mois de mars prochain.

Pressions de toutes parts

La pression, ces jeunes joueurs la vivent tous les jours, dans leurs écoles, leurs quartiers… tout le monde leur pose la même question. Les clubs formateurs ne comptent en aucun cas laisser filer leurs pépites sans en faire profiter leur nation. Il suffit de voir la trajectoire de Hachim Mastour pour avoir une idée du poids des équipes dans les choix de carrière des joueurs. Le plus jeune joueur de l’histoire à avoir porté le maillot de l’équipe nationale (16 ans), était prédestiné à avoir une carrière au top niveau.

Technique hors du commun, vidéos vues des centaines de milliers de fois, sponsors, suivi par des millions de followers sur les réseaux sociaux avant même d’atteindre la première équipe… tous les spécialistes voyaient en lui la prochaine grande star du Milan AC. Mais tout a changé lorsqu’il répond favorablement à l’appel de Badou Zaki en juin 2015, pour affronter la Libye pour le compte des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations 2017.

Son choix a fait débat. Comment Mastour, qui a évolué dans toutes les catégories de jeunes de l’équipe nationale italienne, a-t-il pu tourner le dos à la Squadra Azzura ?

En disputant un match officiel avec les Lions de l’Atlas, il avait définitivement fait son choix. Et son retour au Milan AC ne s’est pas fait sans remous. Critiqué par la presse italienne, son choix a même fait débat sur les plateaux des télévisions locales. Comment Mastour, qui a évolué dans toutes les catégories de jeunes de l’équipe nationale italienne, a-t-il pu tourner le dos à la Squadra Azzura ?

De retour en Italie, Mastour n’a plus évolué dans la hiérarchie, souvent obligé de se contenter des matchs des jeunes alors qu’il était habitué à côtoyer la première équipe. Il a enchaîné les prêts aux Pays-Bas (PEC Zwolle) et en Espagne (Malaga), sans retrouver son niveau. Mastour était brisé, mais pas que footballistiquement. Regrette-t-il son choix ? L’intéressé ne s’est jamais plus exprimé à propos de ce sujet. Ni dans les médias ni sur les réseaux sociaux, jamais Mastour n’a évoqué son choix international. Aujourd’hui, à 21 ans, il évolue au sein d’un club italien de 3e division, Reggina.

Nez creux, réseautage et accompagnement

Le sujet des scouts de la FRMF refait l’actualité depuis que la fédération a ouvert les candidatures le 15 février dernier, en précisant les critères requis. La pièce jointe au communiqué précise que le recruteur doit avoir une expérience préalable du scoutisme en Europe, avoir un réseau bien huilé et être capable de repérer les futurs athlètes d’élite. Évidemment, le document souligne que le candidat doit être également indépendant des clubs ainsi que des agents de joueurs, pour éviter les cas de favoritisme.

Le travail accompli par un scout se jauge à sa capacité à dénicher des joueurs capables d’évoluer au sein de l’élite. L’élite, c’est l’équipe nationale première. Malheureusement, le talent à lui seul ne suffit pas pour faire partie des grands. Il faut du talent, de la patience et de la persévérance. Et accompagner les meilleurs fait partie de notre boulot de tous les jours”, commente quant à lui Ahmed Chouari, qui estime que sans un réseau en bonne et due forme, un scout ne peut pas réussir sa mission. “Le réseau est ficelé au bout de plusieurs années de travail dans le domaine. Pour repérer les jeunes, on doit avoir des yeux partout et des bons contacts avec les clubs et leurs cadres.

Au-delà du contact régulier avec la famille ou les tuteurs du joueur, le métier de scout dépasse le cadre footballistique lorsqu’il accompagne le jeune dans ses démarches administratives. “Les consulats ont joué le jeu en facilitant les démarches administratives du joueur qui cherche à obtenir son passeport marocain. Ce n’était pas le cas il y a quelques années. Les démarches pouvaient alors prendre beaucoup de temps, au point que le joueur songe à se désister”, souligne Ahmed Chouari.

En plus d’avoir le nez creux et la pédagogie nécessaire pour accompagner un jeune talent, en rassurant sa famille tout au long du processus, le métier de scout n’est pas de tout repos. Ils sillonnent l’Europe à la recherche de binationaux, tous les jours, avec l’appui de la fédération. Sous contrat avec la FRMF, ils ont des objectifs à remplir en dénichant des talents qui atteignent la première équipe. Avant ce dernier appel aux candidatures, la fédération ne disposait pas de scout officiel aux Pays-Bas. Un scout en Espagne, Rabie Takessa, suit quant à lui l’évolution des jeunes Hispano-Marocains.

Tant que le football se jouera avec le cœur, il y aura toujours des jeunes Hakimi, des jeunes Harit et autres Hadji et Ziyech pour choisir de représenter leurs origines

Évidemment, les trouvailles des scouts de la FRMF n’ont pas toutes la chance d’évoluer en équipe première. C’est au directeur technique national (DTN) de finalement décider si, oui ou non, le joueur doit être suivi continuellement. S’il intègre une sélection, c’est tant mieux, mais dans certains cas, le DTN se réserve le droit de recaler les joueurs.

Par exemple, Ismaël Bennacer, révélation de la CAN 2019 avec l’Algérie, pouvait bien représenter les Lions de l’Atlas. Né d’un père marocain et d’une mère algérienne, il a été repéré il y a plus de cinq ans par Chouari lorsqu’il évoluait à Arles Avignon, avant de rejoindre les jeunes d’Arsenal. Son choix s’est finalement porté sur les Fennecs, avec qui l’actuel joueur du Milan AC remportera la CAN 2019. La direction technique nationale de Nasser Larguet lui proposait dans un premier temps de rejoindre les équipes nationales de jeunes, contrairement à l’Algérie qui lui offrait une place dans l’équipe première.

Le métier de scout à la FRMF n’est donc pas des moindres. C’est même un poste stratégique pour le développement des équipes nationales, n’en déplaise à leurs clubs formateurs qui restent en légitime droit de protéger leurs prodiges. Mais tant que le football se jouera avec le cœur, il y aura toujours des jeunes Hakimi, des jeunes Harit et autres Hadji et Ziyech pour choisir de représenter leurs origines.

La FRMF se doit désormais de les accompagner, surtout que leurs pays formateurs les suivent désormais dès leur plus jeune âge et mettront tout en œuvre pour garder la starlette à la maison. Le dernier cas du jeune Mohamed Ihattaren en est la preuve, les Pays-Bas ne baisseront plus les bras face aux convoitises marocaines.

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