Societé

Expulsion immédiate de migrants à Melilia : la CEDH approuve

via Telquel

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé, jeudi 13 février, que l’expulsion d’un Malien et d’un Ivoirien par le gouvernement espagnol en 2014 n’était pas contraire au droit.

Le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez, au pouvoir depuis juin 2018, “respecte” les décisions judiciaires, a simplement indiqué un porte-parole du ministère de l’Intérieur, alors que l’arrêt de la Cour a été très critiqué en Espagne par les organisations de défense des droits humains.

Verdict inattendu

La décision surprise, rendue par la grande chambre de la CEDH — sa formation suprême, dont les arrêts sont définitifs — prend le contrepied d’une première décision de la juridiction rendue le 3 octobre 2017. Initialement saisie par deux ressortissants malien et ivoirien, elle avait condamné Madrid pour avoir renvoyé immédiatement en août 2014 vers le Maroc les deux hommes qui venaient de poser le pied à Melilia.

Cette ville autonome espagnole constitue avec Ceuta la seule frontière terrestre entre l’Afrique et l’Europe, et des centaines de personnes tentent chaque année d’y entrer en franchissant de très hautes clôtures. Les deux requérants avaient été appréhendés par les policiers espagnols après avoir franchi, avec plusieurs dizaines de migrants, les trois barrières séparant le Maroc de Melilia.

Ils estimaient avoir fait l’objet d’une expulsion collective “sans examen individuel et en l’absence de toute procédure et assistance juridique”, et dénonçaient une “politique systématique d’éloignement de migrants sans identification préalable”.

Machine arrière

En octobre 2017, une chambre de la Cour leur avait donné raison, en épinglant Madrid pour sa pratique des refoulements à chaud — légalisée en 2014 par les députés espagnols quand la droite était au pouvoir —, régulièrement contestée par les organisations d’aide aux migrants.

Jeudi 13 février, la grande chambre a renversé cette décision, estimant que les requérants s’étaient mis “eux-mêmes dans une situation d’illégalité” en franchissant “délibérément (…) le dispositif de protection de la frontière de Melilia, à des endroits non autorisés et au sein d’un groupe nombreux, en profitant de l’effet de masse et en recourant à la force” lors d’une opération “préalablement organisée”.

“Les gens doivent avoir accès aux procédures d’asile (…), peu importe la façon dont ils sont entrés dans le pays où ils souhaitent se réfugier”

Anna Shea, Amnesty International

La CEDH argumente que les requérants avaient “plusieurs possibilités pour solliciter leur admission légale”, en demandant un visa ou une protection internationale, mais qu’ils avaient “décidé de ne pas utiliser” ces voies légales. La juridiction basée à Strasbourg estime en outre qu’ils se sont “eux-mêmes mis en danger en participant à l’assaut” de clôtures de plus de six mètres de haut, qui étaient hérissées de barbelés et de lames tranchantes.

“L’absence de procédure individualisée d’éloignement (est) la conséquence du propre comportement des requérants qui se sont mis eux-mêmes dans une situation d’illégalité”, poursuit la CEDH, qui “ne saurait tenir (Madrid) pour responsable de l’absence à Melilia d’une voie de recours légale” qui leur aurait permis de contester leur refoulement immédiat.

La grande chambre conclut “à l’unanimité” des 17 juges qu’il n’y a pas eu violation des articles de la Convention européenne des droits de l’Homme concernant l’interdiction des expulsions collectives et le droit à un recours effectif.

Colère militante

Pour Amnesty International Espagne, cette sentence est “un coup dur pour les réfugiés et les droits des migrants”. “Les gens doivent avoir accès aux procédures d’asile et faire appel de toute décision, peu importe la façon dont ils sont entrés dans le pays où ils souhaitent se réfugier”, a déclaré la chercheuse Anna Shea au nom d’Amnesty.

L’association espagnole d’aide aux réfugiés (CEAR) a contesté l’argument de la Cour, selon lequel les deux jeunes Africains auraient pu demander asile au poste-frontière, car selon l’ONG, “aucune personne originaire d’Afrique subsaharienne n’a pu accéder à ce poste depuis sa création”. “Actuellement, beaucoup de personnes — spécialement d’Afrique subsaharienne — sont expulsées collectivement du pays sans (…) pouvoir solliciter l’asile”, écrit CEAR.

Avocat d’un des requérants, l’espagnol Gonzalo Boye a estimé que la sentence était “intenable”, les juges établissant “une doctrine qui pourrait se résumer à ce que toute personne qui se place en dehors du cadre légal cesse d’être sujet des droits reconnus dans la Convention”.

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