Politique

Le Maroc du post-corona : Apologie de la ruralité

via Ajourd’hui

Le Maroc du post-corona : Apologie de la ruralité

Il serait temps de cesser de réduire le territoire rural à un simple réceptacle dépourvu d’âme, arrêter de le percevoir comme grenier et comme jardin arrière qualifié péjorativement à tort d’«arrière-pays» par des citadins aveuglés par une vanité égocentrique !

                 Par Abdellah Ghazi
               Parlementaire et président
            du Conseil provincial de Tiznit
        Membre du Bureau politique du RNI

S’il appartient à l’historien, au sociologue, à l’économiste, au virologue ou au simple observateur d’étudier, de témoigner et de rapporter tous les éléments factuels de la pandémie corona pour un quelconque usage aussi important soit-il, le politique, quant à lui, ne devrait pas s’en contenter ! Celui-ci serait pleinement dans sa mission si, et seulement si, il prospecte au-delà de ce fait biologique, social et économique.

Atténuer les conséquences et saisir les potentielles opportunités sont sciemment la besogne dont serait accablé tout politique bien intentionné, aussi minime soit son degré d’implication et d’influence. Bien plus, le politique est appelé à se saisir de toute analyse et de toute déduction produites ailleurs pour percevoir et concevoir les scénarios de sortie de crise ainsi que les tournants et les pistes à emprunter.

Sur un premier registre, re-peser et repenser des valeurs que l’on méjugeait est inévitable : Pour n’en citer que les plus à-propos : les valeurs de citoyenneté, de solidarité et d’égalité des chances sont à reconquérir parce que pertinemment salutaires en temps de crise grâce d’un côté, à juste titre, au noble réflexe du Souverain-citoyen ayant acté la primauté de la vie à l’économie, et d’un autre côté, au vu de l’adhésion citoyenne de la population, des forces vives, de l’entreprise et de tous à l’effort national d’atténuation des effets immédiats de l’épidémie.

Sur le plan des perceptions, loin de vouloir prétendre repenser «la condition humaine», l’après-corona nous interpellerait et nous inviterait au moins à revisiter certains paradigmes à même d’ébranler la façon de voir le monde et une certaine perception des horizons.
La mondialisation, la croissance, le développement et bien d’autres paradigmes sont à reconsidérer. Et, partant, certains de leurs prolongements liés à l’économie et à la géographie sont à remettre en ballottage.
La ruralité : une chance pour le Maroc de demain !

L’un des angles d’attaque que l’on suggère d’affronter dans ce louable chantier de réflexion du «Maroc post-corona» est celui du monde rural, ou plus formellement, la cause de la ruralité dans toute sa portée inhérente à la dialectique ville-campagne.

Le choix d’opérer ce focus sur la question de la ruralité pour participer au balisage du sentier à emprunter providentiellement après la crise est doublement justifié.
La première raison est assez directe puisqu’elle est l’émanation de constats faits avec évidence en ces temps même de confinement et liés à l’état d’urgence sanitaire : Lors de ce pseudo coma artificiel auquel toute la société a été délibérément contrainte, la consigne la plus commune et la moins controversée est bel et bien celle de la distanciation sociale, chose ô combien absurde dans les milieux urbains où la densité démographique amplifie la tâche. Au demeurant, la campagne et la vie en milieu rural ont été (auraient été ?!) à la rescousse à bien des égards ; au-delà de la distanciation qui y est un fait, la nature de l’habitat rural et la qualité de vie y auraient atténué le fardeau du confinement et l’immunité y serait de surcroît plus affirmée.

Sur un second plan, foncièrement structurel cette fois puisque faisant abstraction de la conjoncture épidémique, la ruralité, en tant que cause, s’impose parmi les réponses à apporter à la fatidique question : Quelle vie après la crise ?
Au fait, la question de la ruralité est d’une complexité tangible que son traitement tient à une multitude de disciplines : la démographie, la géographie, l’aménagement du territoire, la sociologie, l’économie territoriale, etc. et, in fine, cela relève du domaine des politiques publiques et des choix de développement que le chantier de réflexion est appelé à interroger.

Esquisser le profil d’un Maroc post-corona devrait, de prime abord, être animé d’un souffle impacté par les moments sereins de retrait et de méditation que nous a permis le confinement ; la ruralité dans tous ses aspects serait alors l’offrande de reconquête d’une nouvelle vie où l’on sera invité à réapprendre la lenteur, efforcer le refroidissement des turbines et permettre au cheval-animal de regagner les arènes d’où il est hélas évincé par le cheval-vapeur il y a belle lurette !
La ruralité triomphante serait anthropologiquement un retour à la terre et une brave réconciliation de l’Homme avec la nature ; celui-ci s’étant «confiné» petit à petit depuis déjà quelques décennies dans un certain «hors-sol» qui occasionne autant de déracinement.
La crise identitaire trouve quelques-unes de ses sources dans la renonciation aux valeurs intrinsèques au monde rural et à la vie campagnarde (Tamazirte, l3roubia…) ; la terre nourricière et le sentiment d’appartenance que la ruralité entretient sont un gage de la primauté de l’ancrage identitaire, de la diversité culturelle et de la multiplicité linguistique. Le flux métropolitain ayant essoufflé autant de composantes identitaires que d’expressions culturelles en seulement quelques décennies d’hégémonie.

Repenser la crise de la ruralité avec toutes ses manifestations (exode, appauvrissement du milieu, sentiment d’abandon…) permettrait de retrouver les déséquilibres abandonnés, notamment vis-à-vis de l’écologie et de la fragilité des écosystèmes.
Reconsidérer la campagne ne serait pas capricieux ni anodin, il serait question de valoriser le foyer primaire de presque toutes les ressources de la nature, notamment l’eau, la forêt, les minerais, la production agricole, le patrimoine paysager et bien d’autres richesses que l’espace métropolitain serait dans la difficulté de produire.
Il serait temps de cesser de réduire le territoire rural en un simple réceptacle dépourvu d’âme, arrêter de le percevoir comme grenier et comme jardin arrière qualifié péjorativement à tort d’»arrière-pays» par des citadins aveuglés par une vanité égocentrique !

La juste perception de la ruralité devrait être rétrospective pour remémorer par ailleurs l’originalité des savoir-faire ruraux et l’ingéniosité du génie rural ancestral et ainsi s’apercevoir que nos villages n’étaient point moins lotis en matière d’érudition et de science (Souss Al Aalima en témoigne); et que, en plus, ces confins et ces villages reculés sont à l’origine de plusieurs dynasties ayant présidé aux destinées de la nation marocaine des siècles durant.

Le contexte de l’épidémie nous a rappelé que l’égalité des chances, en tant que valeur et principe, peut et doit asseoir à la ruralité le rôle qui lui est dévolu et pallier l’une de ses carences en ce qui concerne les infrastructures et le service public (et les services au public); il en est ainsi quant à la demande sociale en termes de santé mais surtout dans le domaine de l’éducation nationale où le recours à l’enseignement à distance a mis à l’évidence l’ampleur de ces inégalités territoriales venues accentuer le fossé des disparités sociales persistantes. Ces exercices, certes délicats et désolants, ont eu le mérite de démontrer qu’il suffit d’une volonté inconditionnelle pour rattraper les déficiences de la ruralité par rapport à l’urbain essentiellement par le recours au digital et à la démocratisation du numérique.
La télémédecine, l’enseignement à distance, le télétravail et la dématérialisation des services publics les plus récurrents (poste, banque, impôts, documents administratifs…) sont autant de paliers plus ou moins surmontables à même de permettre aux territoires ruraux de jouer le jeu de l’attractivité et de la compétitivité inter-territoires face notamment aux métropoles.
Ainsi boostée par le biais d’une pertinente conversion digitale appuyée par un mécanisme de «service universel» à soutenir et par des dispositifs de médiation numérique, la ruralité gagnerait en tonus outre son potentiel en termes de ressources et de produit agricole et touristique (agroécologie, agrotourisme, écotourisme, migration d’agrément…).

Pour le Maroc d’après-crise, la renaissance rurale devrait être plus qu’une réaction et bien plus qu’une concession pour contourner les séquelles économiques et sociales, loin s’en faut ; ce devrait constituer une opportunité à saisir pour revitaliser une partie de l’héritage national (le rural) jusqu’ici ignoré.
Le défi de la ruralité pourrait s’ériger en véritable «exception marocaine» parmi les recettes et les divers plans que les États entreprendraient pour réussir une sortie triomphale de la crise !

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